Le Plateau
Paris

The Play, IE, 1972, courtesy The Play

Le Mont-Fuji n’existe pas

Commissaires de l’exposition : Élodie Royer et Yoann Gourmel

James Lee Byars, Lenka Clayton et Michael Crowe, Hamish Fulton, Julien Gasc et Bruno Persat, Mark Geffriaud, Chitti Kasemkitvatana, Yuki Kimura, Benoît Maire, Pratchaya Phinthong, The Play, Chloé Quenum, Shimabuku

1976
« Bon travail », dit-il, et
il franchit la porte. Quel
travail ? On ne l’avait jamais vu
avant. Il n’y avait pas de porte. »
Richard Brautigan, Loading Mercury with a Pitchfork, Simon and Schuster, New York.

Juin 2011
La légende veut que le Mont Fuji soit visible de n’importe quel endroit du Japon. A l’occasion d’une résidence à la Villa Kujoyama de Kyoto, nous avons à plusieurs reprises cherché à vérifier cette hypothèse. On nous avait dit qu’on pouvait l’apercevoir depuis la vitre du train pour aller à Tokyo. Que par temps clair, il se dévoilait depuis les étages de certains immeubles de la ville. Que dans la région des Cinq Lacs, on ne pouvait pas le manquer. Qu’en prenant tel train, tel bateau, tel téléphérique, nous étions assurés de le découvrir dans toute sa sereine et conique majesté. Nous n’avons pourtant rien vu du mont Fuji. L’expérience de sa contemplation disparaissant chaque fois derrière d’épaisses couches de brume. Remplacée par les couches plus épaisses encore de sa représentation, dessinée, photographiée, sculptée. Reproduite sur des estampes, des affiches et des cartes postales, dans des jardins zen, sur des menus de restaurant et des billets de banque. En se substituant à son expérience, sa présence permanente et symbolique est venue confirmer la légende : le Mont Fuji est visible de n’importe quel endroit du Japon. Partout et nulle part à la fois. Autant dire qu’il n’existe pas.

~ 995 – 1005
Choses qui ne font que passer
Un bateau dont la voile est hissée.
L’âge des gens.
Le printemps, l’été, l’automne et l’hiver.
Sei Shônagon, Notes de Chevet, 1966 pour la traduction française, Gallimard

Juin – juillet 2012
Le Mont Fuji n’existe pas. Ce que nous y racontons, nous le tenons de l’expérience : la nôtre ou celle qui nous a été rapportée. Ensemble elles épousent certaines des courbes de cette exposition, réunissant des artistes qui privilégient un rapport à l’œuvre comme processus, expérience vécue et partagée laissant place à une multitude d’appropriations et d’interprétations. Les gestes artistiques qu’elle rassemble se situent autant dans leur formalisation que dans les étapes qui participent à leur réalisation et dans la situation qu’elles peuvent provoquer. Cette relation à l’art en mouvement constant, en dehors des modes et de la nécessité de produire un objet qui soit « d’art », est au cœur de cette exposition. Un art discret, échappant à toute ostentation ou spectacularisation, au profit d’actions menées dans le quotidien, au-delà de leur représentation, voire de leur exposition. Sans finalité, l’œuvre y est alors partout et nulle part à la fois, dans son objet, son expérience, son
souvenir.

Les œuvres présentées oscillent ainsi entre une dynamique collective basée sur des gestes échappant à toute nécessité de productivité, une descente dans le quotidien sondant la nature de l’existence et la substance des choses, une lettre manuscrite qui vous est adressée, une recherche de la perfection, éternelle et fugitive, un reflet sur une vitre, une marche entamée il y a 43 ans, une quête du vide, quelques grammes d’or extraits de tonnes de déchets, un sol en morceaux dont les fragments sont autant de courants d’air. Jouant de différentes temporalités d’apparition, elles tentent de rendre compte de ce déplacement permanent entre ici et là : de l’évocation d’une exposition d’un jour de 1967 à une collection de livres, d’une petite annonce parue dans un journal quotidien à un ensemble de documents photographiques témoignant d’actions éphémères, d’une composition musicale en train de s’écrire à une dérive sur la Seine.

Une œuvre d’art possède parfois ce caractère étonnant sur quoi le temps n’a pas de prise, s’imposant d’autant plus durablement à la mémoire, par la manière dont elle laisse à son destinataire, le soin de l’éclairer, de l’approfondir à la lumière de son expérience propre. Chacun a donc le potentiel de devenir le dépositaire d’un précipité d’expérience, que nous pouvons ainsi emporter, conserver et faire surgir quand nous en ressentons le besoin.

Elodie Royer et Yoann Gourmel

Plus d’information sur le projet de Lenka Clayton et Michael Crowe : Mysterious Letters, 2009 – en cours

 

Diaporama

 

 

Journal d’exposition