Le Plateau
Paris

Conte philosophique (la Caverne), 1995-1998, © Philippe Fernandez, crédit photo Jean-Christophe Garcia

Une préface

Pedro Barateiro, Stéphane Barbier Bouvet, Richard Brautigan, Michael Crowe, Jimmie Durham, Philippe Fernandez, Mark Geffriaud, Ruth Krauss et Antonio Frasconi, Guillaume Leblon, Zoe Leonard, Paul Sietsema, ainsi qu’une exposition organisée par Triple Candie

Commissaires de l’exposition : Elodie Royer et Yoann Gourmel

Enfant, je n’avais pas d’ami imaginaire, j’avais une photographie imaginaire. J’étais sinon un enfant tout ce qu’il y a de plus normal, pour ne pas dire ennuyeux. Je ne considérais pas cette photo comme quelque chose de particulièrement spécial, mais je savais que je devais la garder pour moi. Curieusement, je pensais que quelqu’un pourrait me la voler s’il en entendait parler.

J’ai observé cette image pendant des heures, et pourtant aujourd’hui, je ne pourrais pas vraiment vous la dessiner, pas correctement en tout cas. Elle semblait m’aider. Chaque fois que je me sentais seul, j’y jetais un œil et elle m’envahissait. Autant que je sache, j’ai toujours tenu l’image à l’envers. Cela n’avait pas d’importance, c’était mon petit abri de fortune.

J’ai découvert ce qu’était cette image seulement des années plus tard à l’école. J’avais seize ou dix-sept ans, un élève typique, mauvais et indifférent. Ma grande idée était de ne lire que les préfaces des livres pour en couvrir un plus grand nombre. Pas recommandé.
Aller à l’école était déprimant. J’avais l’impression de m’enfoncer de plus en plus profondément dans une caverne. Seule une professeure m’intéressait, Mme Padgett.
La première chose dont elle nous ait parlé fut l’hypothèse des cinq minutes de Bertrand Russell. « Il n’y a aucune impossibilité logique à la supposition que le monde ait jailli il y a cinq minutes, exactement tel qu’il était à ce moment là, avec une population se souvenant d’un passé complètement irréel. » Elle avait toute mon attention.

Elle nous demanda d’imaginer ce à quoi Bertrand avait pu penser cinq minutes avant d’avoir eu cette idée. Elle nous demanda d’imaginer le premier et le dernier plan s’intervertir. Elle nous demanda d’imaginer qu’il pleuvait des grenouilles, puis des poissons, puis des photographies du soleil. Elle nous demanda de regarder les choses comme si nous étions de mauvais détectives sur le point de se faire virer. Je me souviens qu’une fois, alors que nous disséquions des pierres (à la place de crapauds), elle nous dit : « une bulle de savon est aussi réelle qu’une dent fossile ».

Un jour, elle déclara « Positrons ». Je pensai à ma photographie imaginaire. Je sus soudainement qu’elle représentait un positron. Le mot avait simplement l’air juste. Elle donna une image à Marie et lui demanda de la faire circuler. J’eus le sentiment que ma chaise d’écolier oscillait comme une balançoire. Mon esprit se mit à faire des bonds.

J’écoutai : « Cette photo d’un positron a été prise par Carl Anderson en 1932. Un des grands mystères de la physique était de comprendre (je m’imaginais l’entrée de l’école) pourquoi tous les électrons sont apparemment identiques. Feynman a émis l’idée (la sortie de l’école) que tous les électrons puissent en fait être le même électron, rebondissant (un visage, deux battements de paupière) d’avant en arrière entre (un flash d’appareil photo) le début et la fin des temps. Un électron voyageant (une balle de baseball) à rebours dans le temps est ce que nous (sculptures, dessins, films) appelons un positron. Ils existent vraiment. On croit rêver, je sais… Mais ce dont il faut se souvenir (une autre salle de classe), c’est… »
Sa voix s’évanouit peu à peu. La salle de classe se retourna sur elle-même et se remplit d’ambre tandis que l’on me tendait l’image.

Michael Crowe

 

Diaporama

 

 

journal d’exposition